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Interview Dr Gilloteaux , université Cornell ( USA), laboratoire Hanson



Entretien avec le Dr. Ludovic Giloteaux






Dr GiloteauxLe Dr. Giloteaux est diplômé en biochimie ainsi qu'en microbiologie et est actuellement chercheur à l'Université Cornell, au sein du laboratoire Hanson.
Co-auteur de la publication sur le microbiome des patients EM/SFC de juin 2016, il nous fait le plaisir de répondre à nos questions.


Bonjour Dr. Giloteaux, merci d'avoir accepté cette interview pour l'Association Française du Syndrome de Fatigue Chronique ainsi que pour cette publication très intéressante !

Je vous remercie également pour cette opportunité et de pouvoir partager ces résultats très excitants !

Q1/ Est-ce que les patients EM/SFC qui n'ont pas de problèmes gastro-intestinaux peuvent néanmoins avoir une altération de la composition du microbiome?

Oui, nous avons analysé 48 patients et 34 ont rapporté des problèmes intestinaux tels que reflux gastro-œsophagien, diarrhées, constipation. Les 14 restants, sans problèmes apparents présentent une composition bactérienne différente. Mais la question demeure : l'altération du microbiome observée est elle une cause ou une conséquence de la maladie ?

Q2/ Quelle est la fiabilité d'un séquençage ARN ribosomique 16S? Serait-il possible de détecter l'ensemble du microbiome avec cette technologie?

Il s'agit d'une technologie de pointe qui a été largement utilisée et notamment dans la description du microbiome humain, avec le projet « Human Microbiome Project » en 2008 aux Etat Unis. Le microbiote intestinal est un écosystème complexe qui comprend l'ensemble des êtres unicellulaires hébergés dans le tube digestif, principalement des bactéries mais aussi des virus, des champignons et des archées. L'analyse de l'ARN ribosomique 16S nous a permis de décrire les bactéries présentes chez nos patients mais aussi chez les contrôles. Cette technique ne nous permet pas d'observer les virus, champignons, protozoaires ou autres microorganismes eucaryotes (en opposition aux bactéries qui sont des procaryotes). L'analyse des autres micro - organismes présents est en cours dans notre laboratoire en utilisant les mêmes échantillons que cette première étude. Par exemple nous allons analyser l'ARN ribosomique 18S pour les champignons et protozoaires et nous sommes en train de développer des techniques pour l'analyse virale, appelée virome.

Q3/ Est-ce que les niveaux de LPS, LBP et SCD14 permettent d'apprécier la perméabilité intestinale?

Ces marqueurs de translocation bactérienne, c'est à dire passage d'antigènes bactériens de la barrière intestinale au sang, nous permettent d'apprécier la perméabilité intestinale. L'augmentation de ces molécules dans le sang des patients EM/SFC explique une « faiblesse » des entérocytes, cellules de l'épithélium intestinal, au sein de la muqueuse intestinale. Le changement du microbiote est associé à une altération de la perméabilité intestinale, augmentant le passage d'antigènes bactériens et contribuant à une réponse inflammatoire.

Q4/ Avez-vous un avis sur les entreprises offrant une analyse du microbiome? La technologie utilisée semble être la même.

De nombreuses entreprises offrent ce type de service et utilisent exactement la même technologie que nous avons utilisée. La méthode a été standardisée. Ces compagnies donnent une composition bactérienne détaillée comparée à une banque de donnée publique d'individus sains.

Q5/ Pouvez-vous nous parler du virome? J'ai cru comprendre que celui de patients EM/SFC aurait beaucoup plus de Caudovirales. Sont-ils des virus pathogènes?

Le virome constitue les virus capables d'infecter l'homme mais aussi les bactéries. Cette dénomination regroupe les virus eucaryotes responsables d'infections aiguës, d'infections chroniques et d'infections latentes, qu'elles soient symptomatiques ou non, mais également les virus procaryotes ou bactériophages (attaquant les bactéries) qui ont un rôle sur les communautés bactériennes. Nos analyses préliminaires sur le virome des patients EM/SFC montrent une augmentation des bactériophages de la famille des Caudovirales. Ces virus attaquent les bactéries, et peuvent donc être impliqués dans le changement du mibrobiome bactérien observé. Cependant nous ne sommes pas capables de conclure à ce moment présent si ces membres de Caudovirales sont spécifiques de bactéries pathogènes ou non.

Q6/ Est-ce que d'autres virus pourraient être présents dans le microbiome?

Oui, il est tout à fait possible de trouver des virus infectants les humains tels que les virus Herpes.

Q7/ Il est écrit dans votre publication que le taux de fiabilité est de 82,93%, est-il possible d'atteindre les 100%?

En théorie c'est tout à fait possible. Il serait fantastique d'atteindre les 100% de prédiction ce qui voudrait dire que nous avons trouvé une signature unique à la maladie, un marqueur qui la distinguerait des autres. Nous sommes à la recherche de ce ou ces marqueurs. L'analyse du microbiome et les analyses des marqueurs de translocation sanguine ensemble, nous permettent de distinguer les patients EM/SFC de personnes saines à 83%, ce qui est a mon avis un pourcentage élevé.

Q8/ Moins de firmicutes et d'actinobacteria, plus de proteobacteria (dont enterrococcus) seraient une caractéristique, est-ce qu'un changement de diète pour plus de fibres (légumes et short-FOS) et moins de sucre serait susceptible d'améliorer la composition?

Pourquoi pas, mais je ne peux pas conseiller une diète particulière. Chacun réagira différemment et rappelez vous que nous sommes composés de 500 a 1000 souches bactériennes différentes qui coopèrent dans le système digestif, il reste beaucoup de travail pour comprendre leurs interactions et qui coopère, comment, pourquoi et/ou avec qui. Arriver à favoriser un type bactérien est très difficile. Il est probable que plus de fibres, moins de sucre auront une conséquence sur la composition du microbiome mais je n'utiliserai pas le terme amélioration, ni détérioration d'ailleurs.

Q9/ A la vue de la publication, est-ce qu'une étude avec la transplantation fécale comme thérapie pourrait voir le jour?

Eventuellement, mais à ma connaissance il y a un seul article d'Australie (Henry Butt) qui rapporte une transplantation fécale, mais aucune étude clinique rigoureuse. La transplantation fécale fonctionne très bien pour les infections nosocomiales, et notamment les infections dues a Clostridium difficile. La « Food and Drug Administration » ici aux Etats Unis a approuvé ce type de thérapie avec grand succès dans les hôpitaux. Une piste éventuelle à suivre et approfondir pour l'EM/SFC.

Q10/ Peu de français travaillent actuellement sur l'EM/SFC, connaissiez-vous cette maladie avant d'être à Cornell?

Absolument pas. J'ai été engagé à Cornell pour mon expertise en microbiologie. J'ai eu cette opportunité de découvrir cette maladie malheureusement fascinante et qui reste si mystérieuse. Mais nous avons l'espoir de faire de grandes avancées dans la compréhension de cette maladie grâce à de nombreuses collaborations que nous avons établies avec d'excellents chercheurs.

Q11/ Vous avez assisté à la conférence qui s'est déroulé en Floride, est-il possible que l'altération du microbiome telle qu'on le voit dans la publication, serait la cause de l'EM/SFC puisque de nombreux métabolites seraient produits par le microbiome? Il y avait-il une présentation qui vous a marqué plus que les autres ?

Oui nous avons eu la chance de présenter nos résultats à Fort Lauderdale en Floride et nous avons reçu des retours très positifs quant à nos recherches. Le microbiome est sans aucun doute impliqué dans la production de métabolites. Ces métabolites peuvent bénéficier l'organisme. L'exemple du butyrate, un acide gras à chaîne courte, est un produit de fermentation de la microflore intestinale et est capable de moduler la réponse inflammatoire des cellules épithéliales intestinales. Ainsi, en plus d'être une source importante d'énergie pour les colonocytes, le butyrate est connu pour ses effets anti-inflammatoires. Une diminution des bactéries productrices de butyrate observé dans le microbiome des patients EM/SFC pourrait expliquer quelques symptômes d'inflammation, mais je doute vraiment qu'il s'agisse de la cause de l'EM/SFC. La présentation du Dr Chia sur les entérovirus était passionnante.

Q12/ Vous avez présenté une étude sur l'ARN et vous avez conclu qu'il n'y avait pas de différence dans d'expression des gènes entre les patients EM/SFC et le groupe de contrôle. D'autres études génétiques n'ont pas trouvé de lien, peut-on dire qu'il y a de moins en moins de chance qu'une sensibilité génétique serait responsable directement de cette maladie ?

Notre équipe travaille en effet sur l'ARN et nous n'avons pas trouvé de différence d'expression génique. Cette étude s'est intéressée à l'ARN total et nous regardons aussi les ARN trouvés dans certaines subpopulations cellulaires tels que les lymphocytes T, B ou cellules NK. Ces ARN sont en cours d'analyse au laboratoire.

Q13/ Avez-vous pu assister à la présentation du Dr. Chia ? Sa théorie est qu'un entérovirus serait responsable pour au moins une partie des malades puisque dans son étude, les biopsies de l'estomac et du colon étaient positives pour l'entérovirus VP1, n'était-il pas possible de retrouver cette trace génétique lors de l'analyse du microbiome dans ce cas là?

Dans l'analyse du virome, il est théoriquement possible de retrouver le gène VP1 de la capside protéique des entérovirus, si toutefois il est présent. Nous développons des outils d'analyse bio-informatique des viromes EM/SFC et rechercherons aussi ce type de signature. Nous collaborons avec le Dr Chia qui nous a fourni des biopsies de l'estomac.

Q14/ Enfin, est-ce que la signature du microbiome des patients EM/SFC est unique ou bien peut-elle être retrouvée dans d'autres maladies comme le Syndrome de l'Intestin Irritable par exemple?

Les patients souffrant du Syndrome de l'Intestin Irritable, de la maladie de Crohn et de l'EM/SFC présentent des altérations du microbiome avec de nombreuses similarités. De là à conclure une signature unique reste très difficile. Il serait évidemment idéal d'avoir une signature unique, ce qui permettrait un diagnostic de ces maladies," Le " marqueur que nous souhaitons trouver.


Un très grand merci et un immense bravo à notre bénévole et ami Théodore qui a réussi à obtenir cette interview pour notre association.
C'était un beau challenge ...Tout à fait réussi!
!


Les liens hypertextes:

ARN ribosomique 16S : https://fr.wikipedia.org/wiki/ARN_ribosomique_16S
LPS : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lipopolysaccharide
sCD14 : http://www.catie.ca/fr/traitementactualites/traitementsida-201/inflammation/limportance-cd14-soluble-rapport-linflammation
virome : http://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-virome-6547/
Caudovirales : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catégorie:Caudovirales
transplantation fécale : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bactériothérapie_fécale
conférence : http://iacfsme.org/Conferences/2016-Fort-Lauderdale/Agenda/Professional-Agenda.aspx
métabolites : https://fr.wikipedia.org/wiki/Métabolite
ARN : https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_ribonucléique





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 Dernière mise à jour le 20/06/2012


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